J’aurais aimé faire une introduction bien sentie, mais ce n’est pas le jour.
Il faut se rendre à l’évidence, parler du shutdown autistique sans l’avoir vécu, c’est impossible. Même moi j’ai du mal à en parler quand je ne suis pas en train d’en faire un. On oublie des choses, on veut oublier ce moment, d’ailleurs on a une sensation d’être un peu hors du temps. Les minutes peuvent sembler des heures, les heures des secondes.
Aujourd’hui, quand je me suis réveillé, j’ai senti qu’un truc déconnait. Pour la deuxième fois de la semaine, je me suis levé avec un mal de ventre, l’impression que mon cœur bat trop fort, qu’en fait tous les bruits sont trop forts, j’ai faim, je n’ai pas faim, j’ai envie de parler, mais rien ne vient, j’ai envie d’expliquer, mais je ne sais pas quoi dire.
Je regarde dans le vide, rien de précis, mais tous les détails me sautent au visage, les titres des magazines, les jouets des enfants, les bruits des enfants, la respiration de ma femme, elle soupire, elle va mal, elle sourit, mais pourquoi. Je sens que je ne dois rien faire, mais je m’oblige à faire quand même. La responsabilité, d’un mari, d’un père, les faiblesses que je dois compenser, le rôle que j’ai à occuper auprès d’eux.
J’arrive à dire qu’aujourd’hui je n’y arrive pas… que je dois m’isoler.
Mais comment faire pour que cette énième crise soit constructive ? Essayer d’en parler de l’intérieur, du gonzo journalisme intériorisé, peut-être vous faire comprendre certaines choses…
Ça donnera un truc bordélique sans doute, car si je me relis à froid, une fois la crise passée, j’apporterai forcément des modifications qui rendront les choses moins vraies.
Je passe en écriture automatique, avec le risque de laisser ma colère, mes ressentiments ou ma culpabilité prendre le dessus sur ce que je veux dire…
Je suis en vacances, première fois depuis 2015 que je prends plus de 4 ou 5 jours. Pour certain c’est le bonheur, pour moi c’est l’angoisse. Les enfants à gérer, l’absence d’obligation réelle, mais l’impossibilité de choisir de ne rien faire. Il y a du monde à la maison, d’autres enfants, des bruits en permanence. Ils vont à la piscine, ils jouent, il faut aller manger avec les autres, se montrer, discuter. Pas que ce soit désagréable, mais je suis incapable de ne pas camoufler. Je dois me donner en spectacle, en faire toujours un peu trop. Une réputation à tenir, ou juste la volonté de m’intégrer, je ne sais pas, pire encore, je ne SENS pas que j’en fait trop.
Et les journées sont faites de micro-agressions (enfin des trucs normaux pour vous en fait) : les petits drames des enfants, la fatigue de ma compagne, le stress du boulot qui retombe, les repas à préparer, les discussions à tenir… et surtout, l’absence de soupape, je pense.
Alors mon corps me rappelle à l’ordre : maux de ventre, mouvements répétitifs, crises de colère pour un rien, impossibilité de parler et oui, avouons-le, l’envie que tout ça s’arrête de la plus radicale des manières.
Car il est là le problème, ce qui pour vous, non autiste, est une vie normale, pour nous c’est une épreuve. Quotidienne, sans fin, sans porte de sortie facile.
Et ne me dites pas « c’est difficile pour tout le monde », je le sais, mais pardon de le dire, pour nous c’est pire. Un jour comme aujourd’hui, je n’en ai strictement rien à foutre de vos états d’âme, de vos petits problèmes et de tout le reste. J’essaie juste de survivre et de ne pas entraîner les gens que j’aime avec moi.
À un moment donné, si les autistes ont droit à une reconnaissance de handicap, ça n’est pas pour faire joli. Même si je sais communiquer, même si j’arrive à vous paraître « normal » quand vous me croisez, les jours comme aujourd’hui, je prends conscience, de la manière la plus violente qui soit, que oui, l’autisme est un handicap dans notre société.
C’est nous qui devons payer le psy, souvent de notre poche, pour apprendre à vivre parmi vous, pour « activer le circuit de la récompense » comme pour les chiens, à ne pas nous énerver quand vous dites des choses que vous ne pensez pas, quand vous passez votre temps à déblatérer sur des sujets sans rien y connaître. Et encore, j’ai la chance d’être verbal, imaginez les autistes non communicants, qui se retrouvent en institution, enroulés dans des draps mouillés ou avec une camisole chimique car ils ont voulu crier leur ras le bol.
Vous avez fait quoi vous pour nous permettre de vivre ? 2 heures par semaine sans musique ni lumières dans un supermarché ?
Et qui trinque au final ? Les autistes, et leurs proches, ceux qui comme ma femme et mes enfants, font l’effort de passer au-delà, d’apprendre à aimer nos bizarreries, à nous aimer malgré les crises, car nous sommes drôles, ou gentils, ou passionnants parfois. Vous ne retenez pour votre part que le fait qu’on ai toujours un pet de travers, qu’on s’écoute trop ou qu’on aime pas aller dans les bars comme tous les gens normaux.
J’aimerais pouvoir appuyer sur pause, avoir une sorte de super héros qui débarque les jours où ça ne va pas et qui me dise « ne t’inquiète pas, je prends les enfants, je fais les courses et je vous prépare à manger, va prendre un bouquin et repose-toi ». Mais le seul super héros ici, c’est ma femme… mais elle aussi est humaine, et elle aussi a ses limites.
Et que quand tu as une petite fille qui est autiste elle aussi, tu hésites à la confier à des gens qui te disent qu’elle fait des crises, car tu l’écoutes trop, ou que tu manques de fermeté.
Si je gagnais au loto, j’achèterais une grande maison, j’embaucherais des animateurs, je ferais des chambres calmes, avec un super cuistot et on pourrait accueillir des parents autistes avec leurs enfants. Les enfants seraient pris en charge toute la journée, les parents pourraient se poser en toute confiance et profiter d’un parc, d’une bibliothèque… Une vraie maison de répit en somme.
Je ne sais plus comment faire pour faire prendre conscience aux gens de l’état dans lequel je suis. Il me semblait que dire « je n’ai jamais été aussi fatigué qu’en ce moment » suffirait, mais non. Que leur expliquer que, au plus je me sens mal, au plus je camoufle. Que même quand je vais chez le toubib car j’ai l’impression de crever, j’arrive en affichant un grand sourire et en disant des blagues, car je ne sais pas faire autrement.
On dit souvent que les autistes manquent d’empathie, ou que nous sommes égoïstes, alors que justement, c’est votre manque d’empathie, et votre incapacité à aller au-delà de la carapace que nous avons construite pour survivre dans votre monde qui provoque nos crises.
Je suis un putain de clown, j’arbore mon maquillage qui fait rire les enfants, mais je chiale le soir dans ma caravane en enlevant mon nez rouge.
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